Les autorités qui doivent appliquer les directives émanant des ministères dans le domaine de la continuité écologique, cette merveilleuse trouvaille sémantique, et de son corollaire, l’arasement bienfaiteur de nos seuils, adorent s’appuyer sur la science, surtout celle qui les conforte dans leur vision.

Ce faisant, elles propagent l’idée qu’elles détiennent la vérité.

Il ne devrait pas en être de même pour les journalistes qui sont censés fouiller leur travail de recherche et faire le tour des opinions scientifiques contradictoires avant de publier. Mais il y en a parmi eux qui osent tout comme en témoigne ce petit article publié dans le numéro 515 de la revue « Ça m’intéresse », de janvier 2024, dans la rubrique « L’actu verte » et sous le titre « Le retour des saumons de Normandie » malheureusement non signé, et dont je vous livre la teneur : « A la suite du démantèlement des barrages de Vézins en 2020 et de celui de la Roche-qui-boit en 2023, les scientifiques de l’INRAE assistent au retour spectaculaire des poissons migrateurs dans les eaux de la Sélune (département de la Manche). Le saumon atlantique, l’anguille européenne ou la lamproie marine, jusqu’alors piégés par les ouvrages, remontent de nouveau ce fleuve après un siècle d’absence. L’environnement plus favorable a aussi permis à certains invertébrés de s’y réinstaller et aux berges de se régénérer. »

Des échanges fructueux pour vérifier ces assertions ont été menés avec nos collègues et amis du CSRGO, Collectif de Sauvegarde des Rivières du GrandOuest, qui regroupe une vingtaine d’associations sur le bassin Loire-Bretagne.

Si les vérifications se sont montrées quelques peu ardues pour le profane, elles ont néanmoins permis d’identifier sur le portail officiel Naïades qui récence notamment les pêches organisées par les services de l’État au moins deux contradictions en rapport avec ce retour spectaculaire des poissons migrateurs dans la Sélune ; une opération de prélèvement de poissons a été opérée le 19 septembre 2023 à la station référencée 03272685 – La Sélune à Saint-Aubin-De-Terregatte 1. Voici la liste des poissons comptabilisés ce jour-là :

• 1 Phoxinus phoxinus ou Vairon de la Manche
• 3 Rutilus rutilis ou Gardon
• 1 Salmo salar ou Saumon atlantique
• 47 Anguilla anguilla ou Anguille d’Europe
• 9 Squalius cephalus ou Chevaine
• 11 Barbatula barbatula ou Loche franche
• 1 Cottus gobio ou Chabot périalpin
• 4 Alburnus alburnus ou Ablette
• 17 Gobio gobio ou Goujon commun

Et, cerise sur le poisson, si l’on regarde précisément la carte qui accompagne le site, il s’avère que le lieu de prélèvement sur la Sélune est situé sur la D 178 non loin du lieu-dit Signy à proximité du pont. Cet endroit est bien situé sur cette rivière, mais bien en aval des anciens barrages de la Roche qui boit et de Vezins. En clair les poissons prélevés allaient bien en direction des deux anciens barrages, mais n’avaient pas encore franchi leur ancien emplacement … !!!
Voilà qui prêterait à sourire si tout cela n’était pas insupportablement manipulé…
En effet, ce que je viens de vous exposer suffit-t-il à qualifier les saumons d’un retour spectaculaire en Normandie ? Je vous laisse juge…
Voilà comment une certaine presse bat les cartes sans les retourner et qu’à l’arrivée on peut y lire : les scientifiques (donc ce n’est pas discutable) assistent au retour spectaculaire des poissons migrateurs…Et au passage, on rappelle qu’ils étaient piégés par les méchants ouvrages.

Décidément, il nous reste beaucoup de travail de vérification et de communication à faire.

Isabelle Chiaramonti Monnet (ASMR72)