Compte rendu du débat public organisé par l’ARAM BN à Tessy-Bocage le 12/08/2022

Dans un contexte de conditions climatiques exceptionnelles, l’ARAM BN (Association Régionale des Amis des Moulins Bretons-Normands), en la personne de son président Pascal Hermon, a souhaité réunir autour d’un échange libre, toutes les personnes qui pouvaient apporter un témoignage et partager une expérience sur la situation de nos rivières dans le bocage normand, et sur les conséquences visibles des décisions prises depuis plusieurs années par l’administration.

Une soixantaine de personnes a répondu présent, démontrant ainsi la sensibilité du sujet : propriétaires de moulins, mais aussi agriculteurs, pêcheurs, animateurs de base de loisirs et quelques élus se sont déplacés. On peut regretter l’absence de représentants de l’administration, pourtant invités, qui auraient
pu apporter un éventuel débat contradictoire et éclairer les participants.

En présence de :

Monsieur Pierre Meyneng, Président FFAM (Fédération Française des Associations de sauvegarde des Moulins), Président de VPH Normandie (Valorisation du Patrimoine Hydroélectrique de Normandie) Monsieur Denis Chedeville, secrétaire de VPH Normandie, membre de la FFAM,
Madame Annie Bouchard, Vice-présidente de l’ARAM BN, et présidente d’honneur de la FFAM.
La presse : Ouest-France ; la Presse de la Manche.

PRÉSENTATION DE LA PROBLÉMATIQUE

Après une présentation de la situation locale à laquelle les propriétaires de moulins sont confrontés depuis une quinzaine d’années face à la politique de destruction des retenues d’eau en Normandie menée par les instances en charge de la politique de l’eau, les présidents de la FFAM/VPH Normandie et de l’ARAM BN ont proposé une présentation visuelle permettant un constat factuel de l’état de nos cours d’eau aujourd’hui.

La politique de destruction des retenues d’eau de moulins sévit depuis 15 ans sur le Calvados (plus de 100 destructions), la Manche (quelques dizaines), l’Eure (une cinquantaine), la Seine-Maritime (une centaine) et partout en France (3 000 à 5 000 d’après les évaluations des Fédérations et de l’association des Riverains de France). Cette politique destructrice est PROMUE et INTÉGRALEMENT financée sur fonds publics par les instances en charge de la politique de l’eau, avec le soutien de la Fédération de Pêche de la Manche et du Calvados.

Localement, des moulins producteurs d’hydroélectricité ont été rachetés afin d’être détruits par les Fédérations de Pêches avec des financements intégraux de l’Agence de l’eau avec pour conséquence une diminution considérable des masses d’eau présentes dans nos rivières, mais en outre, une destruction de productions d’énergie renouvelable en contexte de pleine explosion des prix de l’énergie, ce qui n’est pas sans interroger sur la démarche dite « écologique ».

Force est de constater que cette politique imposée n’a apporté en 15 ans aucun résultat, au contraire : les populations de poissons migrateurs sont au plus bas, notamment sur la Vire, l’alose qui depuis les premières destructions de 2015 a perdu en l’espace de 6 ans plus de 80 % de ses effectifs, nos réserves d’eau ont été détruites, les refuges pour la faune aquatique et la biodiversité également, l’impact sur les ressources d’eau potable négligé. L’accès à l’eau des bovins et l’irrigation des cultures sont gravement mis en danger et la période de canicule ne fait que confirmer ce que le « bon sens paysan » annonçait en période de sécheresse.

INTERVENTION DU PRÉSIDENT DE LA FFAM

Il est également revenu sur la loi « Climat et résilience » qui a été votée par les parlementaires en des termes déterminés à savoir : « gérer, entretenir, équiper » les retenues pour assurer le franchissement des migrateurs depuis l’origine (article L2147-17 du Code de l’Environnement). Or, les instances en charge de la politique de l’eau ont inventé une 4e modalité : « détruire les ouvrages », encouragées en cela par la Direction Eau Biodiversité et opérations intégralement financées par les Agences qui en dépendent et l’OFB.

Par ailleurs, à l’occasion du vote de la loi climat énergie du 22 août 2021 – art 49, les parlementaires ont voté une adjonction à l’article L214-17 du Code de l’Environnement sur les obligations de franchissement des poissons migrateurs interdisant la destruction des chaussées de moulins dans ce cadre au vu des effets délétères de cette politique sur nos eaux et les milieux qu’elles abritent y compris poissons migrateurs.

Pourtant, les administrations en charge de la politique de l’eau, au mépris des choix des parlementaires, poursuivent cette politique de destruction à travers les programmes d’aides des Agences et des SDAGE en vigueur (Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux) continuant de promouvoir et financer la destruction des retenues d’eau.

S’appuyant sur les différentes photographies réalisées localement pour la présentation, Pascal Hermon a pu lister l’ensemble des conséquences visibles de cette politique dans une situation de sécheresse comme nous la connaissons aujourd’hui. La destruction des chaussées des moulins a pour effet :

  • Une réduction de 80 à 90 % des masses d’eau autrefois présentes lors des bas débits estivaux
  • Une accélération des vitesses d’eau
  • Une moindre participation des rivières à l’alimentation de la nappe phréatique, entraînant un
    assèchement progressif des vallées,
  • Le bouleversement du cycle de l’eau, la baisse de rendement des pâtures de bordure,
  • L’aggravation de l’érosion des terres de bordure par accélération des vitesses d’eau lors des
    crues,
  • L’aggravation des conséquences liées aux crues, les retenues d’eau ayant pour effet de ralentir
    les ondes de crue.
  • La destruction des milieux aquatiques y compris poissons migrateurs comme nous l’observons
    sur l’Orne, la Touque et la Vire.
  • La destruction de la production de petite hydroélectricité et de son potentiel.

Prévisibles et annoncées par les associations (communiqué de Presse du 6 juillet 2017) prévenant des conséquences dramatiques de cette politique pour les eaux de rivière, les milieux qu’elles abritent, et la production d’énergie, les services de l’Etat n’ont pas donné suite au courrier adressé au Ministère de la Transition Écologique et Solidaire le 17 mars 2021 en réponse à l’allocution du 13 mars 2021 de la Ministre Barbara Pompili.

Enfin, le président de l’ARAM BN est revenu sur les conséquences de destruction de retenues d’eau sur la Vire avec la reconstruction en catastrophe d’un barrage artificiel (bâtardage) au niveau de la station de Baudre pour assurer pompage, retraitement et une redistribution de l’eau potable aux habitants sur la commune de Saint-Lô, en tentant de relever artificiellement le niveau des eaux. Il conclut : en cassant tous les ouvrages de retenue, on a la démonstration que la « renaturation » a artificiellement aggravé la pénurie d’eau !

DÉBAT

Cette réunion étant inscrite dans le cadre d’un échange – débat, la parole a été donnée aux participants dans la salle.

Le Président des Amis du barrage de Vezins, Roger Lebeurrier a souhaité apporter un témoignage particulièrement édifiant : tous les acteurs, locaux et nationaux, se sont moqués de nous. L’enquête d’utilité publique a été tronquée et on nous a trompés. Les acteurs qui se prétendent écologistes ne sont que des intégristes pratiquant sans vergogne la désinformation. Ce sont des écologistes de « la table rase » et leur doctrine est que tout ce que l’homme entreprend est fait contre la nature : c’est une fausse écologie, c’est une écologie radicale.

En fait dans cette politique de renaturation des rivières, tout est « bidon » ; ils le savent, mais alors pourquoi continuent-ils ? Le Président de la FFAM a une réponse : il leur est difficile de revenir en arrière vu les financements engagés, et reconnaître ses erreurs n’est pas facile.

Un autre intervenant, représentant des propriétaires de moulins, pense que les « petits moulins » ont servi de boucs émissaires à un lobbying très actif : l’Agence de l’eau finance les syndicats, les fédérations et associations de pêcheurs (2M€ 200) qui sont en fait le bras armé de l’OFB.

Michel Richard, le maire de la commune d’accueil (Tessy-Bocage) est également intervenu : il affirme être de sensibilité écologiste, mais n’adhère absolument pas au raisonnement intégriste de l’écologie. Il se sent d’autant plus concerné qu’historiquement l’une des grandes entreprises de fabrication de petites stations de production d’électricité hydraulique était l’entreprise Guérin installée à Tessy-sur-Vire. Lui aussi constate les effets dévastateurs de cette politique de destruction des retenues d’eau, en particulier dans le domaine de l’agriculture, mais aussi dans le cadre de ses responsabilités d’élu en matière de sécurité. S’il n’en comprend pas les raisons, il se dit prêt à entendre et écouter l’administration pour comprendre cette politique. Mais comme il en témoigne, les gens concernés ne répondent pas, n’expliquent pas, et dans une certaine mesure, refusent le dialogue.

A ce sujet, le président de l’ARAM BN confirme que l’administration a bien été invitée à participer à ces échanges. Manifestement, ils n’ont pas jugé utile de se déplacer, ne serait-ce que pour faire de la pédagogie et l’on ne peut que regretter l’absence de débat contradictoire que l’ensemble des participants pouvaient en attendre, mais le délai était peut-être un peu court.

Un représentant des pêcheurs a pu confirmer ce que l’on savait sur les effets de la destruction des retenues : en effet, les comptages de poissons mis en place dans différents endroits des rivières du bassin (la Basse-Normandie dispose de nombreuses rivières côtières à poissons migrateurs) démontrent sans aucune ambiguïté que, depuis 15 ans, la remontée des poissons s’est largement infléchie, concomitamment au début des opérations de destructions des retenues d’eau et de moulins de rivières : on assiste à un véritable effondrement du décompte des poissons dans notre région, le cas de l’alose en étant la démonstration.

Un autre intervenant (fédération de pêche de la Sienne) a souligné que malgré le litige ancestral qui oppose habituellement pêcheurs et propriétaire de moulins, tous s’accordent aujourd’hui à reconnaître que la destruction des retenues (seuils) a des conséquences catastrophiques sur l’équilibre de la vie de nos rivières.

Plusieurs agriculteurs ont pris successivement la parole : les décideurs, soutenus par les médias et les administratifs ne se prononcent pas sur cette problématique. Dans une ambiance agribashing, les agriculteurs, directement concernés, ne font pas le poids face à la pression financière dont bénéficie la cause écologiste : ils se demandent si le monde va à un moment donné s’en rendre compte ? Que ce soit dans l’arrosage de leurs cultures, dans la fourniture d’eau pour les animaux, la mise en place de réserves d’eau, les agriculteurs déplorent la fragilisation de l’approvisionnement d’eau qu’entraîne cette politique de laisser filer l’eau à la mer. Ils déplorent la non prise en compte du « bon sens paysan » par rapport aux décisions des administratifs. Ils soulignent à cette occasion les conséquences dramatiques sur les moyens de lutte contre les incendies et l’éloignement des réservoirs naturels en rivière.

Un autre agriculteur signale que la sécheresse a entraîné une baisse du niveau de la Vire, mais que l’ouverture des vannes a aggravé la situation en entraînant une baisse du niveau des puits de pompage et de la nappe phréatique qui suit le mouvement : sur les 7 puits qu’il peut habituellement utiliser, 2 seulement restent à ce jour en service, mais baissent de façon très inquiétante.

Un agriculteur témoigne d’une intervention sur un incendie de la semaine : si le premier camion de pompier n’a pas été en mesure de circonscrire l’incendie avec sa réserve d’une tonne d’eau, il en a été de même pour les deux autres camions d’intervention qui venaient de plus loin et qui ne pouvaient pas réapprovisionner en temps : ce sont des agriculteurs avec leurs tonnes à lisier et leur grande capacité qui ont permis d’éviter une étendue du sinistre.

Le problème des bordures de rivière avec les souillures bovines signale un problème spécifique sur l’iniquité de l’utilisation des eaux de rivières avec d’un côté le pompage subventionné par les deniers publics et la situation des agriculteurs à qui on interdit le pompage en rivière. Il précise que les agriculteurs sont absents des syndicats de rivières et qu’il y a un risque pour, à terme, la souveraineté alimentaire.

Les agriculteurs, dans leur ensemble, s’accordent à dire qu’il va falloir envisager de penser au problème de la réserve d’eau avant d’être confronté à une situation d’urgence comme cette année. Un dernier agriculteur se pose la question du cheptel : la terre est peuplée de 30 % d’humains, 67 % d’animaux domestiques, et seulement 3 % d’animaux sauvages : l’homme n’est-t-il pas à l’origine du problème ?

Une élue (maire de Saint-Louet-sur-Vire), illustrant les conséquences de ces décisions, informe les participants qu’elle vient d’être informée d’une coupure générale de l’eau sur 8 communes autour de Saint-Lô (dont la sienne) avec la mise en place d’un ravitaillement par camions-citernes. L’un des animateurs d’une base de loisirs (Pont-Farcy) apporte son témoignage sur la situation : il ne peut déplorer de réel dommage économique puisqu’il s’agit d’une association de bénévoles sans salariés ; il n’empêche que l’ouverture des vannes qui ont abaissé subitement le niveau de l’eau de la Vire a entraîné un arrêt de l’activité de loisirs sur le plan d’eau, mais également un déficit d’attractivité sur le camping « au bord de l’eau » pour les vacanciers de passage, alors qu’il était complet depuis le début de l’été.

Un consensus a émergé des échanges et discussions pour s’inquiéter d’éventuelles conséquences en cas de grosses précipitations à l’issue de la sécheresse du fait d’un assèchement prolongé des berges et des prairies qui n’absorberont pas et des retenues détruites qui ne retiendront pas : il s’agit de dommages collatéraux éventuels mais possibles.

Le vice-président de la société de pêche de Pont-Farcy constate que ces destructions avec la situation de sécheresse ont entraîné une baisse dramatique, voire une quasi-disparition de certains cours d’eau du bassin : il reste 3 barrages sur la Vire, il est temps d’arrêter cette politique.

Le président du syndicat du bassin virois (Francis Hermon) élu de Campeaux représente l’utilité des grands bassins de retenue (2,4 M m3) avec la Datée et le Gast dont l’étiage permet de faire face à l’approvisionnement des habitants. Un grand barrage en tête de bassin est donc nécessaire aussi. Un dernier problème a été soulevé par un « spécialiste » : une rivière est constituée d’un lit majeur et d’un lit mineur. Le lit majeur renvoie l’eau en cas de crues et fait varier la nappe d’accompagnement. Les masses aluvionniques des rivières nourrissent la rivière : l’étiage a une influence sur le débit d’une rivière, mais également sur la vie de la nappe d’accompagnement. La destruction des retenues n’est pas sans conséquences sur cette problématique. (Référence document BRGM)

CONCLUSION

Pour clore cette réunion publique, la parole a été donnée au président de la FFAM, Pierre Meyneng.

Malgré ce constat très inquiétant démontré par la conjonction d’une politique dite de renaturalisation des rivières et un épisode de sécheresse très important, le président exprime un optimisme relatif mais certain : si l’Espagne retient 44 % de ses eaux, l’Italie 27 %, la France n’en retient que 4 %, ce qui lui fait dire que nous disposons d’une grande marge de manœuvre.

Pour être concret, il rappelle que l’épisode actuel de sécheresse est moins grave que celui de 1976 où la France avait été privée de pluie pendant plus de 7 mois. En revanche, il faut impérativement arrêter cette politique de destruction des retenues d’eau et avoir une politique volontariste dans la mise en place de réserves pour faire face aux situations exceptionnelles mais aussi probables de sécheresse à venir.

Il faut inverser le rapport de force, arrêter le lobbying français de cette politique de renaturation des rivières que les intégristes écologistes veulent imposer à l’Europe. Il faut forcer l’écoute de nos décideurs, s’insérer dans la relation décideurs/administration et communiquer.

A ce titre, le président informe les participants qu’une communication officielle est en préparation. Pascal Hermon, président de l’ARAM BN invite les participants à poursuivre les échanges, déjà très riches, un verre à la main.

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